mardi 10 mars 2015

On donne le doigt et il vous prend le bras !


Engrenages. Tiré de http://pixabay.com

Dans un billet précédent, nous avions vu l'importance de l'engagement dans la résistance au changement d'attitude : plus un individu s'était engagé, plus il résistait au changement. Aujourd'hui, nous allons explorer une autre version de cet impact de l'engagement, sur cette fois, le comportement: comment faire en sorte qu’une personne agisse dans un sens désiré alors que celle-ci ne souhaiterait, au départ, pas agir ? 

Prenons deux exemples concrets :

1) En tant que chef d'un service de call-center, comment obtenir que vos employés acceptent de prendre des appels dans une seconde langue afin de diminuer vos coûts de fonctionnement, alors que ces employés ne sont pas bilingues, pas forcément "à l'aise" dans cette position et que cela ne figure pas dans leurs contrats de travail?

2) Mettons qu'il est 19 heures, et que vous mourez d'envie d'aller voir au cinéma le dernier film à la mode, "Cinquante nuances de Grey". Bien entendu, vous voulez y aller avec votre conjoint/e... mais celui-ci/celle-ci semble exténué/e par sa journée de travail : vous savez qu'il/elle n'est pas a priori partant/e. Comment faire pour qu'il/elle vous accompagne? 

Une réponse traditionnelle à ce problème consiste à exercer une pression extérieure sur l'individu réticent. Dans notre premier exemple, il pourrait s'agir d'une prime en monnaie sonnante et trébuchante. Cependant, une possibilité moins coûteuse existe... Dans cette étude, les scientifiques envisagent en effet une orientation différente. Ils souhaitent montrer que lorsqu’une personne a exécuté une petite requête au préalable, alors elle exécutera plus facilement une requête plus importante. Cette technique, bien connue en psychologie sociale, est nommée "le pied dans la porte". Ceci, vous l'aurez compris, en référence à une pratique courante des vendeurs à domicile qui, une fois le pied dans la porte (au sens propre du terme comme au figuré) s'avèrent beaucoup plus difficiles à mettre dehors. 

La  première expérience qui a cherché à mettre en évidence ce phénomène a  été menée par deux psychologues sociaux américains dans les années 60 (Freedman & Fraser, 1966).

Expériences :

Leur hypothèse de base est que lorsque des sujets exécutent une première requête, ils seront plus enclins à en effectuer une plus grande ultérieurement.
Pour ce faire, ils contactent des ménagères par téléphone où ils se font passer pour une sorte de test-achat en leur posant plusieurs questions sur les produits ménagers qu'elles utilisent (exemple : quelles sortes de détergents elles utilisent).
Par la suite, on leur demande si une équipe peut venir chez elles afin de classifier et énumérer tous leurs produits ménagers tout en s'octroyant le droit de fouiller dans tous les placards. 
Différents groupes contrôles sont joints afin de déterminer si c’est seulement la requête de moindre envergure qui conduit les individus à agir plus fortement envers une requête de plus grande envergure. 
L’hypothèse est confirmée après la recherche. L’effet de familiarisation avec l’enquêteur et l’effet d’accord seul n’expliquent pas les résultats. 
Pour comprendre le pourquoi et le comment des résultats, les chercheurs effectuent une deuxième recherche. Ils énoncent  premièrement que le phénomène d'engagement se fait par rapport à une personne précise, l'enquêteur: si la première requête est émise par une personne différente de la deuxième, le phénomène du pied dans la porte devrait être de moindre ampleur. Ensuite, la première requête augmenterait l’engagement seulement quand la deuxième requête est plus ou moins en lien avec la première. Enfin, la similarité entre la première et la seconde requête dans les termes du type d’actions est un facteur important.

Pour mesurer ces hypothèses, la deuxième expérience se fait à l’aveugle et les requêtes ne sont pas faites par les mêmes personnes. La première requête varie selon deux dimensions : faire un petit signe ou signer une pétition. Dans les deux cas, c’était soit pour la beauté de Californie soit par la sécurité routière. La deuxième requête fut systématiquement de planter un panneau sur lequel était indiqué « roulez en sécurité » (et qui était donc en lien uniquement avec la sécurité routière et non pas avec la beauté de la Californie). Alors que certains sujets sont confrontés aux deux requêtes successivement, un groupe contrôle n'est exposé qu'à la seconde. 

Les effets sont les mêmes que ceux de la 1ère étude c’est-à-dire que le groupe ayant répondu à une première requête est davantage prêt à répondre à a deuxième requête (plus importante) que le groupe contrôle qui ne subit que la deuxième. De plus, quand questions et tâches sont semblables, il y a plus d'acceptation de la seconde requête. Quand questions et tâches sont différentes, il y a toujours plus de compliance que dans le groupe contrôle mais pas autant que dans le cas précédent. Et enfin, lorsqu'on change d'enquêteur entre la première et la deuxième requête, on peut constater que les personnes sont moins enclin à accepter la deuxième requête.


Conclusion :

La première étude montre que la probabilité qu’un sujet marque son accord pour une grande requête est augmentée s'il répond favorablement à une première requête plus petite quand bien même l’enquêteur est différent et que les requêtes ne sont guère liées entre elles. 

Quid donc de notre premier exemple ? Le chef de service pourra, par exemple, inviter les employés à prendre part à une séance d'information (durant les heures de travail) sur la prise d'appels dans la seconde langue et ses avantages. Et ensuite à quelques périodes de cours de langue précisément orientées sur cette prise d'appel. Ceux qui auront accepté de participer à la séance d'information, ne pensant pas s'engager outre mesure, auront ainsi mis le doigt dans l'engrenage, seront enclins à participer au cours, et, le bras dans l'engrenage, seront davantage prêts à accepter de prendre les appels dans la seconde langue.

Ainsi, pour en revenir à notre précédent billet (que vous pouvez retrouver en cliquant ici), nous pouvons constater qu'il s'agit encore ici d'une forme d'engagement. En accédant à une première demande minime, l'individu s'engage dans une certaine attitude. Une fois engagé, l'ensemble des comportements cohérents avec cette attitude sont renforcés, et il résistera davantage communications contraires. Dès lors, il aura davantage tendance à accéder au second comportement, plus conséquent que le premier mais cohérent avec son image de lui-même. On donne le doigt à quelqu'un et en fin de compte, il vous prend le bras tout entier !

Testez-le chez vous ! 

Une petite envie de jouer à l'apprenti sorcier de la psychologie sociale? 

Pour en revenir à notre second exemple, commencez par demander à votre conjoint/e : "Tiens, tu sais s'il est déjà sorti dans les salles, ce film?". "Lequel?" vous sera-t-il probablement répondu. Et vous de continuer : "Cinquante nuances de Grey. Tu veux bien vérifier les horaires sur internet pendant que je finis de ranger les courses?" (ou de faire tout autre chose de manière affairée). 

Si votre conjoint/e accepte de vérifier les horaires de passage du film, vous aurez beaucoup plus de chances qu'il/elle accepte ensuite de vous y accompagner!

Avec un peu d'imagination, vous pourrez appliquer ce principe à bien des situations, y compris avec les enfants et vos collègues de travail, et augmenter vos chances d'obtenir d'eux ce dont vous avez besoin.

Bibliographie : 

Freedman, J. & Fraser, S. (1966). Compliance without pressure : The foot-in-the-door technique. Journal of Personality and Social Psychology. P.195-202.


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