mercredi 25 mars 2015

Le retour du travail à la pièce ?

Derrière ce titre mettant en avant une pratique a priori désuète dans nos sociétés, nous nous posons la question suivante : " Pourquoi, au vu de la littérature, récompenser des individus est-il nuisible pour leur motivation ? Peut-on concilier récompenses et motivation ? "

Comme cité précédemment, l'expérience proposée par Deci démontrait que les récompenses matérielles diminuent le sentiment de contrôle et donc la motivation intrinsèque, tandis que les récompenses sociales les augmentent. Dans le même sens, les récompenses externes pousseraient l’individu à minimiser l’intérêt intrinsèque qu'il éprouve à effectuer une tâche. Il se perçoit lui-même comme extrinsèquement motivé.

Deci avait-il raison ?

Nous pouvons considérer que la diminution de la motivation des sujets pourrait provenir d’un état de « satiété » face à la tâche, ou encore de fatigue: pour parler crûment, ils en ont marre! De plus, il n’apparaît pas clairement dans l’expérience que les individus se perçoivent eux-mêmes comme compétents ou efficaces dans cette tâche. En effet, comme aucun critère de performance n’a été établi, il est difficile de savoir si on a réussi ou échoué. Pour conclure sur cet aspect, rajoutons que les récompenses peuvent apporte un feedback à l’individu sur la qualité de la performance qu'il a effectuée. De cette fâche, elles peuvent insuffler un sentiment de compétence au-delà de la simple gratification qu'elles offrent. Par ce biais, elles pourraient s'avérer motivantes. 

Selon cette approche, le sentiment d'avoir bien réussi la tâche pourrait être impliqué dans l'intérêt intrinsèque. En effet, de nombreuses théories décrivent le sentiment de compétence et d’efficacité comme précurseur à la motivation intrinsèque. Selon ces théories, les individus sont motivés à maîtriser leur environnement. Quand ils y parviennent, une satisfaction naît en eux.

Cependant, les critères selon lesquels une personne juge sa compétence sont souvent définis de manière sociale et externe à eux-mêmes. Par exemple, la réussite aux examens universitaires en Belgique francophone est passée de 12 à 10/20 sans que les étudiants n'y soient pour rien! Par ce biais, les facteurs extrinsèques  peuvent donc générer de l’intérêt personnel pour une tâche.

Dans de nombreuses expériences, les récompenses sont octroyées en fonction de la réalisation de la tâche plutôt qu'en fonction du degré de performance atteint. Cela peut indiquer au sujet que son niveau de performance n’a pas d’importance. Ceci peut évidemment nuire à sa motivation intrinsèque.

Des récompenses dépendant de la performance sont considérées comme une preuve tangible de contrôle effectif: la personne y voit une indication de son degré de compétence. L’activité est vue comme la raison d’être de la récompense, et non plus l’inverse.

Altmann, G. (2014). Performance.[Image]. Tiré de http://pixabay.com/fr/crochet-prix-ligne-qualit%C3%A9-fait-405091/

Tout cela est très  beau mais restait-il à le démontrer. Pour ce faire, une expérience a été menée sur 57 enfants de 4 à 9 ans. On leur a demandé s’ils désiraient apprendre un jeu intitulé « the slide game » ("le jeu des dias" littéralement). C'est un jeu qui est constitué de 20 cartes. La tâche en elle-même n'a pas beaucoup d'importance. Des feedbacks sont préprogrammés et délivrés indépendamment des réponses fournies par les enfants : ils auront tous, à l'issue, 10 réponses correctes sur 20. Ils sont divisés en 3 groupes :

- Le premier groupe reçoit une récompense dépendant de sa performance.
- Le deuxième groupe reçoit une récompense pour réaliser la tâche en elle-même (quelle que soit sa performance, donc).
- Le dernier groupe ne reçoit pas de récompenses et sert de groupe contrôle.

Dans chaque groupe s'appliquent deux conditions :

- La première est une condition de faible performance. On leur indique que les enfants de leur âge ont en moyenne 16 réponses correctes et que faire moins est en-dessous de la moyenne. On indique aux enfants que ceux qui feront plus auront 3 marshmallows en récompenses, tandis que ceux qui feront moins n’en auront que deux.

- La seconde est une condition de haute performance. On leur indique que s’ils donnent plus de six réponses correctes, ils sont au-dessus de la moyenne. On indique aux enfants que ceux qui seront au-dessus de la moyenne recevront 2 marshmallows en récompense, tandis que ceux qui seront en-dessous n’en auront qu’un.

En pratique, comme ils auront tous un score de 10, ils recevront tous 2 marshmallows.

Après cela, un temps d'activités libres est laissé à tous les enfants. On leur indique qu’ils peuvent jouer à ce qu’ils veulent pendant ce temps. Des autres jeux sont à disposition, ainsi que le slide game. Les enfants ont six minutes pour jouer librement. La part de ce temps qu’ils accordent au slide game est la mesure de l’intérêt intrinsèque.


Performance
                Condition
Haute
Basse
Récompense non dépendante de la performance
126.35 (9)
233.5 (8)*
Groupe contrôle
260.49 (10)
111.01 (10)
Récompense contingente à la performance
247 (10)
155.5 (10)

L’hypothèse d’une relation entre contrôle effectif de la performance et intérêt intrinsèque est confirmée.
Les enfants qui ont été récompensés sans rapport au degré de succès montrent une diminution de l’intérêt intrinsèque. De plus, dans les conditions de contrôle et de récompense relative à la performance, un manque de succès tend à réduire l’intérêt des sujets. Ces résultats sont inverses pour la condition de récompense non relative à la performance.

* Pour ce résultat on pourrait s'attendre à ce qu'il soit identique aux autres groupes dans les conditions de basse performance. Néanmoins, le temps de jeu (l'intérêt intrinsèque) est plus élevé. Les auteurs expliquent ce résultat en précisant que l'échec n'a pas d'implication car ils reçoivent tous la récompense. Les individus relativiseraient leur échec car ils reçoivent tout de même leur récompense.Cette explication ne tient pas la route car il n'y aucune raison logique qui pourrait faire en sorte d'augmenter la motivation. Par rapport à cela nous ne pouvons que faire quelques suppositions : 
- Leur mauvaise performance ferait que les sujets auraient tendance à vouloir s'améliorer pour mériter la récompense.
- Ils continuent car ils veulent atteindre le standard de performance mais cette explication est fausse car le groupe contrôle aurait eu les mêmes résultats.
- Lorsque la récompense est indépendante de la performance cela perturbe les critères de performance. On ne sait plus si on doit se fier à la performance ou à la récompense.
Il est à noter que pour chaque groupe, on ne compte que peu de participants. Cela peut donc induire des résultats extrêmes.

On ne constate pas de différence significative entre l’intérêt intrinsèque des enfants qui reçoivent une récompense contingente à leur performance et ceux du groupe contrôle. Pour les auteurs, cela s’explique par le fait que les standards de haute et de basse performance étaient clairement établis à l’avance pour tous les groupes. En effet, l'effet de contrôle est créé chez les individus même si la récompense n'est pas transmise. Les standards définissent déjà la performance sur la tâche.

Pour conclure, l’étude a démontré qu’une décroissance de l’intérêt intrinsèque semble arriver seulement quand on précise au sujet qu’il avait bien réalisé l’activité et quand la récompense n’est pas contingente à la performance. Des recherches additionnelles ont montré qu’une diminution de l’intérêt intrinsèque se crée quand la valeur de la récompense est importante. La récompense reste donc un outil puissant. Une compréhension des conditions qui produisent ou ne produisent pas une diminution de l’intérêt intrinsèque pourrait permettre une utilisation plus judicieuse des récompenses. De la sorte, on optimiserait les bénéfices liés et on éviterait les dangers.

Dans la vie de tous les jours, on pourra influencer son enfant à faire la vaisselle. Le principe est très simple, il suffit de lui dire qu'il fait très bien la vaisselle et encore mieux que son père. On lui donne ainsi le sentiment d'avoir atteint un certain niveau de performance sans pour autant lui donner de récompense. 

Au vu des résultats, nous pouvons proposer quelques transpositions au niveau managérial :
Un employeur peut proposer un salaire fixe qui ne dépend pas des performances de l'individu, tout en lui faisant comprendre qu'il n'atteint jamais ses objectifs. De ce fait, il sera motivé. Cette transposition ne correspond pas à la réalité. Dans le système scolaire, on entend que les élèves sont de moins en moins performant mais le salaire des enseignants reste identique quant à leur performance. On pourrait donc s'imaginer qu'ils n'atteignent pas leurs objectifs mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont plus motivés, que du contraire.
Une autre transposition pourrait s'appliquer au secteur de la vente. Un commercial qui doit atteindre un certain quota de vente, se sentira motivé s'il le dépasse et s'il sait qu'il dépasse les résultats de ses collègues. Il reçoit un certain pourcentage de chaque vente donc il sera d'autant plus motivé s'il vend plus.


Bibliographie :

Karniol, R., & Ross, M. (1977). The effect of performance-relevant and performance-irrelevant rewards on children's intrinsic motivation. Child Development. P. 744-750

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