jeudi 21 mai 2015

Les sectes : Engagement ou manipulation ?

Comme derniers billets, nous vous proposons cette fois une suite de sujets plus éloignés de nos précédents billets. Nous vous démontrerons cette fois comment l’engagement d’un individu envers une secte se développe ? Par quels phénomènes et quels processus , les individus adhèrent-ils aux valeurs et aux pratiques prônées par la secte ? Cet engagement, souvent fort, de la part des personnes impliquées dans les sectes, étonne la plupart des individus lambda que nous sommes. C’est pourquoi nous vous proposons de rechercher différentes explications.
Pour ne prendre qu’un exemple parmi tant d’autres, intéressons nous à l’exemple malheureusement célèbre du Temple du Peuple :


Wong, N. (1977). Reverend Jim Jones at a protest in front of the International Hotel. [Photo]. Tiré de http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jim_Jones_in_front_of_the_International_Hotel.jpg

Le révérend Jim Jones fonde l'Eglise indépendante du Temple du peuple en 1953 à Indianapolis, aux Etats-Unis. Le leader charismatique prêche l'amitié entre les peuples, s'oppose au racisme ambiant, œuvre pour les démunis et attire rapidement les foules. Mais dans les années 70, son emprise sur les fidèles lui monte à la tête. Des rumeurs de viols et d'extorsions de fonds sur des membres de l'Eglise commencent à circuler et le contraignent à s'exiler au Guyana. Accompagné de près d'un millier d'adeptes, il y fonde Jonestown, une ville communautaire. Drogué et paranoïaque, il règne en despote sur les habitants. Léo Ryan, un député américain, est dépêché par le congrès des Etats-Unis pour s'assurer qu'aucun des membres n'est retenu contre son gré et ramener les éventuels adeptes qui voudraient quitter la communauté. Il se rend donc à Jonestown avec des journalistes et des familles inquiètes du sort des leurs. La visite se passe bien, mais, quand une douzaine de fidèles décide de repartir avec Ryan, Jim Jones ne le supporte pas et fait exécuter ses hôtes. Quelques heures plus tard, il ordonne le suicide collectif de tous ses disciples. Près de 1000 personnes se donnent la mort.

Comment cela est-il possible ?! Comment une aberration pareille a-t-elle pu se produire ?! Quels processus généraux sont à l’œuvre ? 

C’est ce que nous verrons dans cet article !

Nous allons principalement souligner 3 raisons qui susciteraient l'engagement chez les individus au sein-même des sectes.

Une des principales causes qui provoquerait l'engagement est le leadership des "gourous". Johnson (1979) parle de leadership charismatique. Les leaders adoptent différentes stratégies pour renforcer leur position et également réduire la précarité de celle-ci. La plupart de ces stratégies sont basées sur l'action sur des relations internes dans les groupe ou encore sur des relations du groupe avec l'environnement. Riggio (2012) précise que les leaders charismatiques sont de véritables experts de la communication, éloquents verbalement mais aussi capables de communiquer avec les adeptes profondément, à un niveau émotionnel. Le charisme est un processus - une interaction entre les qualités du leader charismatique, les adeptes et leurs besoins et une identification avec le leader et la situation qui demande l'arrivée d'un leader charismatique (un besoin de changement ou une crise).

La deuxième cause évoquée tiendrait compte d'une des premières théories de l'engagement mise en avant dans ce blog. Robert Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois (1987) propose un concept de psychologie sociale, la soumission librement consentie (compliance without pressure). Ce concept a été popularisé par Freedman et Fraser en 1966. Il explique le résultat d'une méthode de persuasion qui amène à fournir l'impression aux personnes concernées qu'ils sont les auteurs de certains choix. En agissant de la sorte, un individu pourrait ainsi transformer son comportement, ses objectifs et ses choix avec le sentiment d'être responsable de ces modifications. En effet, Kurt Lewin (1947, cité par Joule et Beauvois (1988)) va dans ce sens et développe que lorsqu’on souhaite obtenir d’autrui qu’il change ses représentations ou modifie ses attitudes, plutôt que d’opter pour une méthode qui se base sur la persuasion, il est souvent plus opérant de choisir une stratégie dite « comportementale ». Une de ces stratégies comportementales peut être par exemple, la technique du pied dans la porte, déjà longuement décrite. 

Pour terminer, basons nous sur une théorie provenant de la psychanalyse. En effet, selon Casoni & Brunet (2005), il y aurait la mise en place d'un processus d'idéalisation sur les adeptes et sur les leaders de certains groupes sectaires. Le processus d'idéalisation correspond à un processus psychique groupal dans lequel un individu s’engage lorsque, poussé par une identification narcissique, il confère à un leader, à un dogme, ou encore à un mouvement religieux ou politique l’essentiel de son amour pour lui-même ainsi que la majorité de ses projets et désirs. Le fonctionnement du Moi et du Surmoi du sujet est affaibli et ses capacités d’identification à autrui et de jugement moral tendent à diminuer.
Pour en revenir à notre exemple initial, cette théorie fournit une bonne explication au suicide collectif des adeptes du temple du peuple. Il survient que, face à l’incapacité à accomplir le paradis sur terre, un processus alambiqué de clivage/projection conduise leaders et adeptes à modifier le lieu du paradis vers un autre endroit chimérique. A la place de remettre en cause le leader ou la croyance, le groupe déplace l’endroit de la transcendance, par projection, soit sur une autre planète, soit dans une autre vie (l’exemple qui nous occupe) . De la même manière, le clivage facilite le maintien d’un sentiment de pureté au sein du groupe en expulsant sur des personnes ou sur un autre groupe des aspects qui ne peuvent être acceptés au sein même de la secte (désirs inassouvis, hostilité envers le leader, conflits entre les membres, besoins jugés inacceptables, etc.). Ces éléments constitutifs de la vie humaine lorsqu’ils sont perçus comme importuns sont niés comme réalités individuelles ou groupales pour être attribués à d’autres.

Pour conclure, par ses capacités individuelles, le leader est capable de faire adhérer les individus à ses idées. Il agit sur le groupe, l’environnement Les adeptes gardent bien souvent l'impression d'avoir agi de leur plein gré. De plus, il faut prendre en compte que le leader répond à des besoins précis liés à la situation des individus mais aussi des besoins psychiques (idéalisation, reconnaissance,...). La vulnérabilité à un moment donné des individus, peut également jouer sur le processus d'engagement et d'adhésion à la secte.

Bibliographie :
- Casoni, D. & Brunet, L. (2005). « Processus groupal d'idéalisation et violence sectaire ». Déviance et Société 1/2005 (Vol. 29) , p. 75-88
- Johnson, P. (1979). Dilemmas of Charismatic Leadership: The Case of the People's Temple. Sociology of Religion (40(4): 315-323.
- Joule, R.V. & Beauvois, J.L. (1988). « La psychologie de la soumission ». Revue La Recherche, n° 202, Septembre 1988.
-Joule, R.V. & Beauvois, J.L. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Editions Presses Universitaires de Grenoble.
- Riggio, R. (2012). What Is Charisma and Charismatic Leadership?. En ligne sur https://www.psychologytoday.com/blog/cutting-edge-leadership/201210/what-is-charisma-and-charismatic-leadership

jeudi 14 mai 2015

L'engagement politique, une crise identitaire ?


A la suite des billets précédents, nous avons évoqué différents aspects d'engagement. Comme par exemple, susciter l'engagement de ses employés dans le travail, l'efficacité de l'argent par rapport à la motivation ou encore l'engagement moral des individus.

Cependant, nous n'avons pas encore abordé l'engagement dans la politique et plus particulièrement l'engagement des jeunes dans ce domaine.




Bouchet G. (2012) Cortège FNJ au sein du défilé du 1er-Mai. Tiré de : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Défilé-FN.JPG


Depuis 1988, on constate une croissance de l'intérêt des jeunes pour la politique. Comment expliquer ce phénomène ?
 
En effet, chaque parti politique se doit de compter dans ses effectifs des jeunes pour renouveler ses anciens membres et cela se fait souvent par " hérédité politique parent-enfant " (Gallet G., 1999).
Ces jeunes militants ne sont pas forcément des copies conformes de leurs parents : ils cherchent à se différencier ; à personnaliser leurs pratiques militantes. Même si ces jeunes sont investis dans le monde politique, ils adoptent une certaine distance par rapport à la structure politique et cherchent à conserver leur liberté d'action et de réflexion. Ils sont en accord avec les grandes idées du parti mais modernisent le contenu.

Une autre explication de ce phénomène est la crise identitaire. A l'heure actuelle, il n'est pas évident de se forger une identité propre. La question que tout le monde se pose est : Qui suis-je dans ce monde ?
La sphère religieuse ainsi que celle politique ne répondent pas toujours à ces quêtes d'identités (Willaime J-P, 1993). 

Qui sont ces jeunes ?
Ce sont principalement des étudiants universitaires qui ont comme activité complémentaire le militantisme. Ils sont en quête de valeur, d'une identité forte.

La première sphère à donner cette identité est la famille et, en particulier, les parents qui donnent les connaissances politiques aussi bien théoriques que pratiques aux jeunes. C'est une première sorte d'identité faite par imitation.

Cependant, parfois les jeunes choisissent de manière arbitraire l'opposé du parent. Ils cherchent une opposition identitaire et ainsi mettent en avant " leur propre maturité politique".

Le jeune va aussi chercher à s'engager pour d'autres raisons : suivre les amis. Ses amis lui permettent d'avoir un premier contact avec le parti et parfois d'assouvir sa curiosité afin de voir de ses propres yeux une figure politique connue. En effet, l'article stipule bien que le jeune s'engagera plus facilement s'il arrive dans un endroit considéré comme familier.

Il passe par une phase d'observation pour enfin être disposer à s'investir.

Paradoxalement, le jeune va s'engager à court terme et dans une intensité assez faible. Son engagement politique constitue simplement une période de socialisation. L'investissement du jeune est, enfin de compte, unique ; il ne va pas reproduire l'expérience politique.

Comme nous l'avons expliquer au-dessus, il s'agit bien d'une quête d'identité. Le jeune exploite différents chemins afin de trouver La réponse à La question : Qui suis-je ? Il arrive parfois qu'il fasse des erreurs, se trompe de chemin, mais cela forge son identité. Aujourd'hui la religion ne répond plus bien à cette question et la politique suit également ce chemin. Il serait donc intéressant de se demander ce qui pourrait répondre à cette question ? Le travail ?

Bibliographie :

Gallet, G. (1999).  L’engagement militant dans les mouvements politiques de jeunesse. Le FNJ et le MJS. Agora débats/jeunesses. 17 (1) P. 119-130
Willaime, J-P. (1993). L'inquiétude identitaire et la redéfinition des frontières. Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. 37 P. 5-12.

Cheminement de l’engagement au djihad : les mécanismes d’une radicalisation



Aujourd’hui, des jeunes gens de toute l’Europe s’expatrient vers des pays en guerre, afin de s’engager dans les combats. Pourquoi ? Voilà la question que se posent de nombreuses personnes, notamment dans l’entourage proche des expatriés, où l’incompréhension s’ajoute à la douleur de la perte. Plus loin encore, qu’est-ce qui peut mener certains jeunes à perpétrer des attentats-suicides ici, en Europe, parmi leurs compatriotes ?

Nous allons, à travers les différentes notions vues dans nos précédents billets, et grâce à un article de Luiz Martinez[1] (dont nous reprendrons largement des idées) tenter d’apporter un début d’explication à ce phénomène.

(origine : pixabay)


Pour commencer, notons l’élément qui semble le plus choquer l’opinion publique dans ce choix… Le fait que les jeunes le fassent librement, sans contrainte, alors qu’ils jouissent, eu Europe, de leur autonomie. Alors qu’ils sont à l’abri des combats, et ne sont nullement contraints d’y prendre part. Comme nous l’avons vu dans un précédent billet ("Moral hier = moral aujourd'hui?"), l’autonomie est un facteur favorisant l’engagement. Donc, plus ces jeunes jouissent de leur autonomie et de leur libre choix, plus leur engagement aura de chances d’être fort et prégnant. Ce mécanisme, qui nous semble ici si choquant, est scientifiquement établi…

En second lieu, il est important de réaliser que les groupes djihadistes véhiculent l’image d’un monde musulman agressé par l’occident, et plus particulièrement les Etats-Unis. Les images de propagande montrent des populations civiles agressées, massacrées, sur des territoires en guerre. Des injustices. Dès lors, les jeunes européens ayant accès à ces images, à cette propagande, sont (forcément) sensibilisés à la douleur des populations « agressées » et vulnérables. Une réelle empathie se crée, face au malheur des « frères musulmans » (ou, plus simplement, d’autres êtres humains). Ils vivent par procuration le drame… et les sentiments d’injustice, de révolte les imprègnent. L’évidence s’impose : il faut réagir, résister à l’agression. Il faut défendre ces pauvres gens. La cause est juste, elle est morale… et la violence qu’elle entraîne (le combat) est légitime. C’est un devoir moral ! Nous sommes clairement ici dans la définition du djihad : un devoir religieux (moral), une lutte, une résistance, un effort. Le djihad défensif, constituant une auto-défense face à l’agresseur sur les territoires agressés, est à partir d’ici justifié, voire indispensable moralement.

Ainsi, les jeunes européens commencent à se renseigner sur le djihad, les combats, les pays concernés, les organisations djihadistes, visionnent davantage d’images, lisent davantage de discours, voire entrent en interaction. Ceci crée un premier engagement chez eux, une réponse à une demande minime qui, comme nous l’avons vu dans un autre billet ("On donne le doigt et il vous prend le bras!") constitue la première marche susceptible de favoriser ultérieurement leur réponse favorable à une demande plus grande. Cette demande plus grande sera le départ pour un pays en guerre et l’engagement au combat.

Notons ici que certains peuvent peut-être échapper à cet engrenage par le « moral licensing », que nous avons vu dans notre sixième billet ("J'ai déjà fait ma BA!"). En effet, le fait par exemple de contribuer ici, en Europe, à faire passer le message djihadiste, ou de contribuer financièrement à « l’effort de guerre » peut permettre à certains de s’absoudre du fait de ne pas partir au djihad. Ils ont déjà fait / font déjà une bonne action… dès lors, ils n’ont plus moralement d’obligation supplémentaire.

Bien sûr, on peut également penser que les organisations djihadistes promettent certainement de l’argent, la « belle vie » (à côté du combat). Et que cela n’est pas pour rien dans l’engagement de certains jeunes. Cependant, comme nous l’avons vu dans le billet "L'argent vous motive-t-il dans votre travail?", l’argent ne motive pas tant l’individu que la valorisation sociale. Celle-ci a un impact beaucoup plus fort. Nous avons même vu dans notre tout premier billet (ici) que moins on proposait d’argent à l’individu pour un acte, plus s’engageait réellement lors de sa réalisation… et plus fort il résistait ensuite aux pressions contraires. Ce n’est donc pas prioritairement l’argent qui guide ces jeunes vers le djihad, non… mais plutôt la valorisation sociale des djihadistes par la religion musulmane. En effet : les djihadistes répondent au devoir religieux, à l’appel religieux. Nous parlons bien toujours ici du djihad défensif, qui n’intègre pas l’attentat-suicide en territoire non-agressé (souvent vu, lui, comme un interdit religieux). Le djihad dans lequel il faut combattre non pas pour mourir mais pour vaincre l'ennemi.

Pour ce djihad défensif, l’agression des populations européennes est donc désapprouvée. Bien que les civils occidentaux puissent être considérés comme coupables des politiques de guerre occidentales, puisqu’ils ont choisi la composition de ces gouvernements… Les jeunes européens non-encore expatriés voient malgré tout comme évident, à travers leur vie quotidienne, que les civils européens ne peuvent être tenus pour responsables des « massacres » contre les civils en Irak, Afghanistan, … Dès lors, quel facteur pourra les mener au djihad offensif, aux attentats-suicides ici, en Europe ?

La confrontation à la réalité sur les territoires en guerre, tout simplement. En effet, les jeunes qui font le pas de s’engager réellement se retrouvent confrontés non plus aux images des médias (avec la distance qu’elles impliquent) mais à des images réelles, directes. La souffrance des autres est d’autant plus choquante et prégnante. L’identification à ces autres humains s’intensifie. Le passage à l’acte est également important : le jeune va perpétrer des crimes, des meurtres. Ceux-ci lui semblent justes, mais n’en restent pas moins des passages à l’acte violents.

Tout ceci rend possible (mais le mécanisme n’est – heureusement – pas automatique) la dilution de l’interdit de tuer des civils en Occident (hors du territoire « agressé »). Pour le jeune qui revient du djihad offensif dans un pays en guerre, l’engagement est très fort. Il aura d’ailleurs sans doute davantage tendance à s’identifier aux civils de ce pays qu’aux civils occidentaux. Il pourra avoir la conviction profonde que ces derniers, eux aussi, doivent payer le prix de l’agression occidentale envers le monde musulman. Dès lors, l’enfant de l’Occident viendra de passer de jeune expatrié djihadiste « d’auto-défense », à candidat à l’attentat-suicide en Occident.


Bibliographie


[1] Luis Martinez, « Structures, environnement et basculement dans le jihadisme », Cultures & Conflits, 69 | 2008, 133-156.

samedi 9 mai 2015

Le contexte est la clé !

Comme vu dans le premier billet, la théorie de l'engagement examine la manière dont les gens changent leurs attitudes et comportements face à une requête.

L'engagement aboutit à une sorte de soumission provoquant un changement dans le comportement et l'attitude. Par conséquent, cette soumission, à l'origine d'une demande externe, provoque le renforcement d'intentions attitudinales et comportementales. L'individu sera alors susceptible d'accomplir des actes qu'il n'aurait pas faits spontanément.

Comme déjà vu dans plusieurs articles (ici), l'argent en tant que récompense va influencer négativement la motivation intrinsèque. Contrairement au feedback sur la performance, où la motivation sera renforcée.

La littérature sur l'engagement décrit déjà bien les préconditions pour un changement d'attitude et de comportement. L'accent est bien souvent mis sur le libre-choix.

Il est bon de savoir que la théorie de l'autodétermination s'applique lorsque les individus effectuent des choix en connaissant l'ensemble des possibilités et sans influence extérieure. La théorie de l'évaluation cognitive (CET) fait partie d'une sous catégorie de la théorie précédente. Elle étudie la manière selon laquelle les facteurs contextuels affectent la motivation intrinsèque des personnes à travers leurs actes. Les facteurs sont : le "soutien contrôlé" et le "soutien autonome". Le soutien contrôlé est l'environnement social qui exerce une pression externe, poussant donc un changement d'attitude et de comportement (exemple : "cette demande est obligatoire, donc vous devez le faire"). Le soutien autonome est une information ("cette demande n'est pas obligatoire, vous êtes libres de refuser"), une communication ("nous vous remercions pour votre collaboration, nous avons recueilli beaucoup de résultats") ou un feedback ("vos arguments étaient de très bonne qualité") sur la prestation des gens, il y a ici une absence de pression externe.

Quand quelqu'un fait un acte de son propre chef, la motivation intrinsèque augmente (et vice versa).

Selon Fousiani (2011), le contexte a également une grande influence. En effet, il impacte non seulement la motivation mais aussi le comportement.
Le fait que le sujet se trouve dans un contexte d'autonomie ou non (la latitude laissée ou non à l'individu dans la réalisation de la tâche, la manière de répondre), ou influence-t-il sa manière d'agir, qu'il soit ou non en condition de libre-choix (défini par la possibilité ou non de refuser d'exécuter la tâche qui lui est demandée) ? L'introduction d'une récompense change-t-elle la donne?

Downling, C. (2011). Social commentary. [Image]. Tiré de https://www.pinterest.com/pin/73042825182450988/.

Deux études ont été menées en ce sens à l'Université d'Athènes sur des étudiants ayant le choix de participer ou non.
La première cherche à examiner les effets de la motivation d'autonomie / de contrôle sur l'attitude et le comportement en contexte de libre choix ou non.
Les sujets ont du remplir un questionnaire sur le sujet de la consommation responsable, afin de mesurer leurs attitudes à ce sujet (le même questionnaire sera à nouveau distribué à la fin de l'expérience, afin de mesurer l'écart éventuel d'attitude provoqué par les manipulations introduite par l'auteur). Ensuite, ils ont été répartis de manière aléatoire en 4 groupes avec, à chaque fois, une condition spécifique par groupe (choix libre / non - contexte autonome / contexte contrôlé). On leur demande d'écrire un texte argumentatif sur la sur-consommation de produits et on leur donne d'autres instructions selon le groupe dans lequel ils se trouvent.
Dans le contexte autonome, il leur est demandé d'écrire le plus d'arguments possible, aussi bien qu'ils peuvent.
Dans le contexte contrôlé, il leur est indiqué qu'ils seront informés si leurs arguments sont corrects, s'ils ont été écrits comme ils le devaient.
Après cela, les participants en situation de libre choix reçoivent les instructions du type : "ce qu'on vous demande de faire n'est pas obligatoire, vous êtes libres de refuser". On leur demande par ailleurs d'indiquer sur leur copie leur nom complet (ce qui engage davantage les personnes, puisqu'il s'agit d'un acte public).
Au contraire, les individus en situation forcée recevaient pour instruction : "ce que nous vous demandons de faire est obligatoire, vous devez le faire". On leur demande ensuite d'écrire les 4 derniers chiffres de leur numéro de téléphone (ce qui engage beaucoup moins les personnes puisqu'elles conservent leur anonymat).
Après une semaine, ils reçoivent un feedback écrit différent selon le groupe où ils se trouvaient. On y indique aux participants en contexte autonome que leurs arguments étaient très bons, et que leur aide fut précieuse. Les participants en situation non-autonome, eux, ont reçu une information leur disant qu'on a du vérifier leurs arguments et qu'ils étaient bons, que leur aide a été importante.
Et enfin, comme indiqué plus haut, on leur refait passer le questionnaire initial afin de vérifier leurs attitudes post-expérimentales.

Voici les attitudes selon le contexte :


1) Contexte autonome :

2) Contexte de contrôle:


Hypothèse 1 :
Une demande externe effectuée en condition contexte d'autonomie (plutôt que de contrôle) rend les participants plus favorables à cette requête et augmente leur intention de comporter conformément à celle-ci.

Résultat 1 :

L'hypothèse est confirmée dans le contexte autonome. En effet, à la fin de l'expérience, il y a nettement plus d'attitudes positives envers le consumérisme responsable dans le contexte d'autonomie que dans le contexte contrôlé.

Hypothèse 2 :
Une demande effectuée dans une condition de choix libre et  toujours dans un contexte autonome rend les participants plus favorables à avoir des attitudes positives face cette requête et augmente leur intention de se comporter conformément à celle-ci.

Résultat 2 :
L'hypothèse n'a pas été vérifiée. En effet, aucune influence significative du libre-choix n'a été relevée entre le début et la fin de l'expérience. Cependant, si l'on ne considère que l'étape post-expérimentale, le libre choix a bel et bien une influence sur la conformité (plus importante que dans le choix forcé), mais sans interaction avec le contexte d'autonomie.

En somme, fournir une autonomie favorise la motivation intrinsèque.


La deuxième recherche est un complément de la première étude, on vérifie la même chose avec une composante supplémentaire : la récompense. Le sujet sera cette fois le don de sang.

Les résultats de la deuxième étude montrent que dans une situation autonome, les étudiants seront plus favorables à donner leur sang à la fin de l'expérience qu'au début. Ce qui n'est pas le cas dans le contexte contrôlé. De plus, les individus en contexte autonome, en condition de libre choix et recevant une récompense démontrent une plus grande intention envers le don de sang régulier que les individus en condition de libre choix mais recevant une récompense de type contrôlée. L'effet d'une récompense peut donc être positive, si tant est qu'elle soit administrée de manière autonome. En effet elle est alors perçue par l'individu comme résultant de ses actes, il y voit une causalité interne et non une pression externe.

Pour conclure, les recherches passées mettaient déjà en valeur l'importante du contexte de liberté. Mais cette étude va un cran plus loin. Elle montre qu’insuffler un sens d'autonomie et de volonté propre est capable d'amener à l'engagement et provoquer des attitudes désirables. Les motivateurs externes, tels que la récompense, ont été longtemps décriés. En effet, Deci (1971) indiquait que l'argent ne semble pas constituer un bon motivateur pour les individus. Dans son étude, celui-ci montrait que les récompenses externes avaient un impact négatif sur la motivation. Mais aujourd'hui, les récompenses externes peuvent être admises comme de bons renforçateurs si ils sont administrés dans un contexte d'autonomie. Cette conclusion est donc moins radicale que chez Deci et laisse plus de portes d'entrée pour agir sur l'engagement.
Nous pouvons donc affirmer qu'un sens de l'autonomie accru constitue une composante pouvant stimuler l'engagement. L'étude présente a donc mis en évidence l'importance de la motivation intrinsèque sur les processus d'engagement et c'est actuellement une condition préalable à l'engagement avec des forces externes.

Bibliographie :
Fousiani, K. (2011). The effects of autonomous versus controlling motives on compliance with external requests.Presses univ. de Grenoble 24. P 73-101.
Deci, E. (1971). Effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation. Journal of Personality and Social Psychology. P. 105-115

mercredi 1 avril 2015

Moral hier = Moral aujourd'hui ?!

Dans deux précédents billets (ici et  ) nous vous indiquions deux phénomènes relatifs à l'influence d'un comportement moral passé sur un comportement moral futur. 

- Le premier : le « moral licensing »  ou encore l’absolution d’être moral se déroule généralement lorsque nous nous remémorons des actes passés où nous avons agi de manière positive envers autrui. Ce sentiment d’avoir agi moralement valide la pensée selon laquelle nous sommes un individu vertueux. Par conséquent, nous ne nous sentons pas obligés de le prouver à nouveau.
- Le deuxième : l'identité morale quand les gens qui se perçoivent moraux tendent à agir dans ce sens via certains comportements sociaux.


Ces deux mécanismes semblent contradictoires. Dans un cas, s'être comporté de façon vertueuse favorise un comportement moral ultérieur alors que dans le second, il favorise un comportement immoral. Conway et Peetz ont cherché à rendre compte de ces résultats antagonistes.

LeMasney. (2010). A moral compass[Photographie]. Tiré de https://www.flickr.com/photos/lemasney/5211610431/

Comment sont donc régulés ces comportements ?
Conway et Peetz (2012) réalisent trois expériences. Dans ce billet, nous n'en relaterons qu'une seule des trois, la plus pertinente à nos yeux:
151 individus participent à l'expérience. Les personnes devaient écrire et cela tiré aléatoirement, des comportements moraux ou immoraux qu'elles avaient effectués dans un passé proche ou lointain. La distinction s’opère sur le fait que les individus devaient soit parler d'eux soit parler d'un ami.    
Pour résumer, il y avait 2 groupes : Soi / Autrui      
Et 4 conditions à l'intérieur de ces groupes : Moral, lointain / Moral, proche / Immoral, lointain / Immoral, proche.           
On mesure ensuite la volonté des individus d'agir moralement sur une échelle allant de 1 à 7. Plus la valeur est haute plus la volonté d’agir moralement est forte.

Soi :



Les résultats mettent en évidence les effets d’une variable modératrice appelée "distance temporelle": selon que l'on pense à un événement proche ou lointain les effets s'inversent!  Selon les auteurs, qui se basent sur la théorie des "niveaux de constructions", on envisage les événements lointains de façon abstraite, schématique, décontextualisée. A l'opposé, les événements proches sont perçus de façon concrète,  détaille, contextualisés, liés à l'incident, etc. 

Vous l’aurez peut-être compris en lisant l’expérience : Conway & Peetz (2012) proposent une variable modératrice c'est-à-dire " la conceptualisation des comportements passés " selon que ces comportements soient abstraits ou concrets. En accord avec la théorie CLT (trad fr ???) et la théorie de l'identification de l'action, des actions et des événements peuvent donc être construits de manière concrète ou abstraite. Les construits abstraits sont schématiques, décontextualisés, pauvres en détails , etc. A l'opposé, les construits concrets sont détaillés, contextualisés, liés à l'incident, etc. 

Si concret (événement proche):

On  envisage la situation comme une série d'objectifs à atteindre et ces objectifs sont donc validés car récents dans le temps. L'individu ne se sent alors plus obligé de les atteindre et se permet d'agir de manière compensatoire.

Si abstrait (événement lointain) :

Dans ce cas, l'individu se souvient des ses actes moraux passés non plus en regard de leur réalisation mais en regard du "pourquoi", du but de ces actes. Cela ramène l'individu à son identité de soi "je suis une bonne personne". Dès lors, il a davantage tendance à se comporter de manière cohérente avec cette image.

...Si ces mécanismes sont en cause, ils ne devraient s'appliquer qu'à nos propres comportements moraux. Lorsqu'on pense aux comportements d'autrui, cela n'engage ni notre identité morale ni le sentiment d'avoir accompli un objectif. Pour en être certains, Conway et Peetz ont introduit 4 conditions en tous points identiques aux précédentes si ce n'est qu'il fallait cette fois penser au comportement d'un ami. Cette fois, aucune différence significative n'est observée entre les conditions, ce qui corrobore leur interprétation. CQFD. 

Cette fois, nous vous avons donc proposé une autre manière de s’engager, bien différente dans ce que nous vous soumettions avant. Cette fois, les éléments comme l’argent, le sentiment de contrôle, les performances, sont mis de côté. La distance temporelle et la centration sur le Soi sont employées comme variables modulant l’engagement.

Pour maximiser les efforts pro-sociaux, il faudrait donc faire en sorte que les bons actes passés soient mis en lumière sous formes abstraites (implication pour l'identité du Soi) tandis que les échecs moraux passés soient plus concrets (basés sur le comportement). De plus, nous pourrions appliquer ce principe au passé mais peut-être aussi au futur.

Bibliographie:
Conway, P. & Peetz, J. (2012). When does feeling moral actually make you a better person ? Conceptual abstraction moderates whether past moral deeds motivate consistency or compensatory behavior. Personality and Social Psychology Bulletin 38(7). P 907-919.

mardi 31 mars 2015

Donner sans rien en retour ?

Le fait de faire des dons, d'être charitable, est-ce un comportement désintéressé ?

Pour répondre à cette question il faut tout d'abord identifier un concept clé : l'identité morale. L'identité morale c'est la partie de soi qui a conscience de soi. Cette identité s'organise autour de traits moraux qui motivent à leur tour un comportement moral.
En effet, les gens qui se perçoivent comme moraux tendent à agir dans ce sens via certains comportements sociaux. Ceux-ci ne sont pas seulement spontanés mais aussi calculés. 

Par exemple, l'identité morale pousse à se porter volontaire afin d'aider les plus démunis et faire des dons aux banques alimentaires locales. 
Faire un don [illustration] Tiré de http://pixabay.com/fr/faire-un-don-654328/

Plusieurs expériences ont été menées sur le sujet. Une d'entre elles (Reed, Aquino & Levy, 2007), a été réalisée sur un groupe de personnes où on leur demandait de se décrire en utilisant des mots neutres ou moraux. Ceux qui étaient mis dans les conditions d'une identité morale ont montré une plus grande volonté à donner du temps (plutôt que de l'argent) à une association prosociale.

L'importance de l'identité morale varie selon les contextes, les situations. Les gens doivent gérer différentes identités et seulement une partie d'entre elles seront activées dans un contexte particulier. 
Les comportements prosociaux activent l'identité morale. 

La perception que l'on a de nous-mêmes est influencée par le regard que portent les autres sur nos comportements passés. Cette perception active l'identité morale qui nous pousse à adopter un comportement encore plus social.

Ceci est déjà expliqué dans un billet précédent intitulé On donne le doigt et il vous prend le bras !. Celui-ci soulignait que des sujets auront donc plus tendance à fournir un comportement encore plus charitable si auparavant on leur demande un premier comportement charitable de moins grande envergure.

Par contre, la tendance s'inverse si on évoque des échecs moraux passés. Cela aura pour effet de réduire le comportement moral comme lorsqu'on dit aux gens qu'ils sont charitables ils auront tendance à donner plus d'argent. Inversement si on leur dit qu'ils ne sont pas charitables, ils donneront encore moins d'argent. 

Pour finir, ce concept d'identité morale varie selon le contexte dans lequel on se trouve et est soumis à nos comportements. Mais aussi qu'il s'oppose au concept vu dans le billet précédent le moral licensing. 

Bibliographie:

Conway, P. & Peetz, J. (2012). When does feeling moral actually make you a better person ? Conceptual abstraction moderates whether past moral deeds motivate consistency or compensatory behavior. Personality and Social Psychology Bulletin ,38(7), 907-919.

jeudi 26 mars 2015

J'ai déjà fait ma BA !

"J'ai déjà donné". Vous avez déjà tous prononcé ces mots ou entendu prononcer ces paroles lorsqu'un individu vous demande quelques pièces. Vous avez peut-être effectivement déjà donné ou vous ne souhaitez  peut-être pas particulièrement donner. Ne pas répondre à cette demande fait-il de vous des individus immoraux et égoïstes ?

Dans la vie quotidienne, nous sommes confrontés à un tas de situations semblables demandant de notre part une aide spontanée ou non envers un autre individu. Par exemple, une dame âgée peut avoir des difficultés à porter ses courses etc.

Qu’est ce qui pousse les individus à s’engager moralement envers autrui ou à l’inverse ne pas s’engager ? Comment cela passe-t-il concrètement ? 


s.d. (2008). Helping the homeless in New-York City.[Photographie]. Tiré de http://en.wikipedia.org/wiki/Homelessness

Dans ce court billet, nous montrerons un phénomène nommé le « moral licensing »  ou encore l’absolution d’être moral. Cette dernière semble aller à l'opposé de ce que nous vous proposions dans le billet "On donne le doigt et il vous prend le bras !" . Dans celui-ci, des petites demandes facilitaient l'acceptation de demandes plus larges. On pourrait logiquement extrapoler cette relation. Le fait d'agir positivement envers d'autres personnes inciterait donc à poursuivre avec un même comportement. Il y aurait la création d'un cercle vertueux. Néanmoins, cette évidence semble totalement remise en cause par le principe d'absolution morale.

En effet, cette absolution morale se produit généralement lorsque nous nous remémorons des actes passés où nous avons agi de manière positive envers autrui. Ce sentiment d’avoir agi moralement valide notre sentiment d'être un individu vertueux. Par conséquent, nous ne nous sentons pas obligés de le prouver à nouveau. De ce point de vue, on pourrait penser à une mécanique compensatoire liée à la perception morale de soi. Se sentir moral réduirait la motivation à agir de manière pro-sociale. Inversement, avoir agi de manière peu morale susciterait chez l’individu le besoin de se racheter et donc d’agir vertueusement.

Dans la littérature, différentes expériences illustrent ces propos.  Par exemple, lors d’une de ces expériences, dans un premier temps, des hommes dénoncent des affirmations sexistes visant les femmes mais paradoxalement, lors d’une deuxième tâche ils discriminent plus fortement les femmes qu'un groupe contrôle qui n'avait pas eu l'occasion de condamner des propos sexistes!  De même, lorsque des sujets blancs ont l’occasion de soutenir Barack Obama, ils discriminent  par la suite plus facilement la communauté noire.

Inversement, lorsque des individus se sentent déficients moralement, ils chercheront à s’inscrire dans des comportements restaurant la morale.

Le « moral licensing » n’est pas seulement induit par des actes positifs actuels. Le rappel de notre comportement passé peut aussi l'induire Jordan, Mullen, et Murnighan (2011, cités par Conway & Peetz, 2012) ont demandé à des individus d’écrire une lettre dans laquelle ils se rappellent avoir aidé des gens. Il est apparu que les individus ayant écrit cette lettre s’engagent moins pro-socialement que des individus ayant écrit une lettre lambda. Plus intéressant encore, quand la lettre rappelant un acte positif social concerne un individu autre on ne constate pas cet effet. Similairement, Sachdeva et al. (2009 cité par Conway & Peetz, 2012) trouvent également des résultats similaires. Les résultats indiquent aussi que les effets ne se manifestent pas lorsqu’on pense à autrui.

En résumé, se percevoir soi-même comme moral conduit à se comporter de façon moins morale. A l’inverse, se percevoir comme ayant un faible niveau tend à augmenter ses comportements moraux. Ce pattern peut être interprété comme une autorégulation morale. Métaphoriquement, cela s’apparente à un système de soupapes recherchant systématiquement l’équilibre. On parle de comportements compensatoires moraux.

Bibliographie:

Conway, P. & Peetz, J. (2012). When does feeling moral actually make you a better person ? Conceptual abstraction moderates whether past moral deeds motivate consistency or compensatory behavior. Personality and Social Psychology Bulletin 38(7). P 907-919.

mercredi 25 mars 2015

Le retour du travail à la pièce ?

Derrière ce titre mettant en avant une pratique a priori désuète dans nos sociétés, nous nous posons la question suivante : " Pourquoi, au vu de la littérature, récompenser des individus est-il nuisible pour leur motivation ? Peut-on concilier récompenses et motivation ? "

Comme cité précédemment, l'expérience proposée par Deci démontrait que les récompenses matérielles diminuent le sentiment de contrôle et donc la motivation intrinsèque, tandis que les récompenses sociales les augmentent. Dans le même sens, les récompenses externes pousseraient l’individu à minimiser l’intérêt intrinsèque qu'il éprouve à effectuer une tâche. Il se perçoit lui-même comme extrinsèquement motivé.

Deci avait-il raison ?

Nous pouvons considérer que la diminution de la motivation des sujets pourrait provenir d’un état de « satiété » face à la tâche, ou encore de fatigue: pour parler crûment, ils en ont marre! De plus, il n’apparaît pas clairement dans l’expérience que les individus se perçoivent eux-mêmes comme compétents ou efficaces dans cette tâche. En effet, comme aucun critère de performance n’a été établi, il est difficile de savoir si on a réussi ou échoué. Pour conclure sur cet aspect, rajoutons que les récompenses peuvent apporte un feedback à l’individu sur la qualité de la performance qu'il a effectuée. De cette fâche, elles peuvent insuffler un sentiment de compétence au-delà de la simple gratification qu'elles offrent. Par ce biais, elles pourraient s'avérer motivantes. 

Selon cette approche, le sentiment d'avoir bien réussi la tâche pourrait être impliqué dans l'intérêt intrinsèque. En effet, de nombreuses théories décrivent le sentiment de compétence et d’efficacité comme précurseur à la motivation intrinsèque. Selon ces théories, les individus sont motivés à maîtriser leur environnement. Quand ils y parviennent, une satisfaction naît en eux.

Cependant, les critères selon lesquels une personne juge sa compétence sont souvent définis de manière sociale et externe à eux-mêmes. Par exemple, la réussite aux examens universitaires en Belgique francophone est passée de 12 à 10/20 sans que les étudiants n'y soient pour rien! Par ce biais, les facteurs extrinsèques  peuvent donc générer de l’intérêt personnel pour une tâche.

Dans de nombreuses expériences, les récompenses sont octroyées en fonction de la réalisation de la tâche plutôt qu'en fonction du degré de performance atteint. Cela peut indiquer au sujet que son niveau de performance n’a pas d’importance. Ceci peut évidemment nuire à sa motivation intrinsèque.

Des récompenses dépendant de la performance sont considérées comme une preuve tangible de contrôle effectif: la personne y voit une indication de son degré de compétence. L’activité est vue comme la raison d’être de la récompense, et non plus l’inverse.

Altmann, G. (2014). Performance.[Image]. Tiré de http://pixabay.com/fr/crochet-prix-ligne-qualit%C3%A9-fait-405091/

Tout cela est très  beau mais restait-il à le démontrer. Pour ce faire, une expérience a été menée sur 57 enfants de 4 à 9 ans. On leur a demandé s’ils désiraient apprendre un jeu intitulé « the slide game » ("le jeu des dias" littéralement). C'est un jeu qui est constitué de 20 cartes. La tâche en elle-même n'a pas beaucoup d'importance. Des feedbacks sont préprogrammés et délivrés indépendamment des réponses fournies par les enfants : ils auront tous, à l'issue, 10 réponses correctes sur 20. Ils sont divisés en 3 groupes :

- Le premier groupe reçoit une récompense dépendant de sa performance.
- Le deuxième groupe reçoit une récompense pour réaliser la tâche en elle-même (quelle que soit sa performance, donc).
- Le dernier groupe ne reçoit pas de récompenses et sert de groupe contrôle.

Dans chaque groupe s'appliquent deux conditions :

- La première est une condition de faible performance. On leur indique que les enfants de leur âge ont en moyenne 16 réponses correctes et que faire moins est en-dessous de la moyenne. On indique aux enfants que ceux qui feront plus auront 3 marshmallows en récompenses, tandis que ceux qui feront moins n’en auront que deux.

- La seconde est une condition de haute performance. On leur indique que s’ils donnent plus de six réponses correctes, ils sont au-dessus de la moyenne. On indique aux enfants que ceux qui seront au-dessus de la moyenne recevront 2 marshmallows en récompense, tandis que ceux qui seront en-dessous n’en auront qu’un.

En pratique, comme ils auront tous un score de 10, ils recevront tous 2 marshmallows.

Après cela, un temps d'activités libres est laissé à tous les enfants. On leur indique qu’ils peuvent jouer à ce qu’ils veulent pendant ce temps. Des autres jeux sont à disposition, ainsi que le slide game. Les enfants ont six minutes pour jouer librement. La part de ce temps qu’ils accordent au slide game est la mesure de l’intérêt intrinsèque.


Performance
                Condition
Haute
Basse
Récompense non dépendante de la performance
126.35 (9)
233.5 (8)*
Groupe contrôle
260.49 (10)
111.01 (10)
Récompense contingente à la performance
247 (10)
155.5 (10)

L’hypothèse d’une relation entre contrôle effectif de la performance et intérêt intrinsèque est confirmée.
Les enfants qui ont été récompensés sans rapport au degré de succès montrent une diminution de l’intérêt intrinsèque. De plus, dans les conditions de contrôle et de récompense relative à la performance, un manque de succès tend à réduire l’intérêt des sujets. Ces résultats sont inverses pour la condition de récompense non relative à la performance.

* Pour ce résultat on pourrait s'attendre à ce qu'il soit identique aux autres groupes dans les conditions de basse performance. Néanmoins, le temps de jeu (l'intérêt intrinsèque) est plus élevé. Les auteurs expliquent ce résultat en précisant que l'échec n'a pas d'implication car ils reçoivent tous la récompense. Les individus relativiseraient leur échec car ils reçoivent tout de même leur récompense.Cette explication ne tient pas la route car il n'y aucune raison logique qui pourrait faire en sorte d'augmenter la motivation. Par rapport à cela nous ne pouvons que faire quelques suppositions : 
- Leur mauvaise performance ferait que les sujets auraient tendance à vouloir s'améliorer pour mériter la récompense.
- Ils continuent car ils veulent atteindre le standard de performance mais cette explication est fausse car le groupe contrôle aurait eu les mêmes résultats.
- Lorsque la récompense est indépendante de la performance cela perturbe les critères de performance. On ne sait plus si on doit se fier à la performance ou à la récompense.
Il est à noter que pour chaque groupe, on ne compte que peu de participants. Cela peut donc induire des résultats extrêmes.

On ne constate pas de différence significative entre l’intérêt intrinsèque des enfants qui reçoivent une récompense contingente à leur performance et ceux du groupe contrôle. Pour les auteurs, cela s’explique par le fait que les standards de haute et de basse performance étaient clairement établis à l’avance pour tous les groupes. En effet, l'effet de contrôle est créé chez les individus même si la récompense n'est pas transmise. Les standards définissent déjà la performance sur la tâche.

Pour conclure, l’étude a démontré qu’une décroissance de l’intérêt intrinsèque semble arriver seulement quand on précise au sujet qu’il avait bien réalisé l’activité et quand la récompense n’est pas contingente à la performance. Des recherches additionnelles ont montré qu’une diminution de l’intérêt intrinsèque se crée quand la valeur de la récompense est importante. La récompense reste donc un outil puissant. Une compréhension des conditions qui produisent ou ne produisent pas une diminution de l’intérêt intrinsèque pourrait permettre une utilisation plus judicieuse des récompenses. De la sorte, on optimiserait les bénéfices liés et on éviterait les dangers.

Dans la vie de tous les jours, on pourra influencer son enfant à faire la vaisselle. Le principe est très simple, il suffit de lui dire qu'il fait très bien la vaisselle et encore mieux que son père. On lui donne ainsi le sentiment d'avoir atteint un certain niveau de performance sans pour autant lui donner de récompense. 

Au vu des résultats, nous pouvons proposer quelques transpositions au niveau managérial :
Un employeur peut proposer un salaire fixe qui ne dépend pas des performances de l'individu, tout en lui faisant comprendre qu'il n'atteint jamais ses objectifs. De ce fait, il sera motivé. Cette transposition ne correspond pas à la réalité. Dans le système scolaire, on entend que les élèves sont de moins en moins performant mais le salaire des enseignants reste identique quant à leur performance. On pourrait donc s'imaginer qu'ils n'atteignent pas leurs objectifs mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont plus motivés, que du contraire.
Une autre transposition pourrait s'appliquer au secteur de la vente. Un commercial qui doit atteindre un certain quota de vente, se sentira motivé s'il le dépasse et s'il sait qu'il dépasse les résultats de ses collègues. Il reçoit un certain pourcentage de chaque vente donc il sera d'autant plus motivé s'il vend plus.


Bibliographie :

Karniol, R., & Ross, M. (1977). The effect of performance-relevant and performance-irrelevant rewards on children's intrinsic motivation. Child Development. P. 744-750